Catherine Meurisse,
La légèreté,
Dargaud,
Paris, 2016.
Catherine, c'est cette dessinatrice de Charlie Hebdo,
qui signait de son prénom les dessins humoristiques du célèbre journal
satirique. Mais Catherine n'est plus, désormais un nom de famille vient
compléter ce pseudo, car Catherine ne veut plus faire de dessins de
presse. Désormais c'est Catherine Meurisse et elle signe son premier album
complet.
Née des attentats de janvier 2015, cette jeune auteure de BD
raconte sa quête pour tenter de retrouver la légèreté qu'elle a perdue un jour
de janvier 2015. Cette légèreté qui a disparu le même jour que ses collègues,
ses amis, ses partenaires de grivoiseries sous les balles des kalachnikov de
frères dont on taira le nom pour ne pas risquer de ranimer leur souvenir. Car
ce dont Catherine Meurisse veut qu'on se souvienne à travers les pages de son
livre c'est de ces artistes, ces saltimbanques, ces monstres de l'humour qu'étaient
Cabu, Charb, Honoré, Wolinski et Tignous.
Elle voudrait la retrouver sa légèreté, celle qui la faisait
déprimer au fond de son lit quand elle repensait aux échanges avec son amant
qui refusait de quitter femme et enfants pour elle; elle en arrive presque à
envier ces moments qui, hier, la plongeait dans une humeur sombre et qui en
comparaison au grand malheur d'aujourd'hui ne valaient finalement pas grand
chose. Catherine Meurisse flotte depuis le massacre dans un autre espace/temps.
Ses dessins vaporeux à la Rotkho ou autre William Turner sont les reflets d'une
âme qui souffre, qui est perdue, qui est en manque de tous ses mentors. Elle
veut fuir, non par lâcheté, mais parce qu'elle veut trouver la beauté qui fera
sortir son âme du chaos dans lequel les tragiques événements l'ont précipitée.
Alors d'abord, elle essaye de se souvenir de ses débuts au sein du journal
satirique, son premier contrat, ses premières parties de rigolades dans la
salle de rédaction. Puis elle fait revivre les disparus, les faisant faire des
blagues scatophiles sur leurs propres bourreaux. Elle tente ensuite de remplir
ses journées sous surveillance policière, tente de s'écarter le plus possible
des commémorations ou de la presse. Et quand on lui demande de recevoir Barack
Obama, c'est plutôt Cabu qu'elle préférerait voir.
La beauté, la trouvera-t-elle auprès de vieux amis? Face à
l'océan? En Italie? A Rome où elle espère vivre l'évanouissement rédempteur
qu'a connu Stendhal devant la beauté des œuvres d'art antiques ou de la
Renaissance? Car c'est bien d'une renaissance dont Catherine Meurisse a besoin,
la renaissance d'une âme traumatisée par les bruits assourdissants des rafales
de fusils d'assaut, par les hommages de ceux qui ne sont pas vraiment Charlie
mais qui le font croire. La renaissance aussi de ses souvenirs qu'elle tente
désespérément de retrouver comme les derniers mots qu'elle a échangés en
sortant d'un comité de rédaction avec Mustapha, le correcteur
"baudelairien" qui a été tué en dernier ce funeste jour.
C'est donc à Rome qu'elle va poursuivre sa recherche. Quel
lieu est plus approprié que la Villa Médicis pour rencontrer la beauté des
arts? Par ses rencontres avec d'autres artistes, en déambulant avec les guides
dans les jardins, en blaguant avec les gardiens et en admirant les œuvres, elle
va retrouver un peu de sa capacité à voir le beau, même quand les statues et
tableaux lui rappellent les corps meurtris de ses collègues dans la salle de
rédaction de Charlie après le passage des frères fanatisés. La véritable
révélation se fera ailleurs, elle lui tombera dessus, comme ça, tout
simplement, comme une évidence.
On est loin du récit classique d'une survivante qui
livrerait un exposé sur lequel on s'apitoierait. Ce n'est pas non plus un
étalage de détails macabres pour voyeurs pervers. On est plutôt ébahi devant le combat d'une
frêle jeune femme qui se bat pour ne pas sombrer, pour faire revivre dans ces
130 pages tous ceux qui lui ont donné sa chance et l'envie de ne jamais rien
abandonner. Un véritable hymne à la
culture, seule capable de faire sortir les âmes faibles de l'obscurantisme et
de guérir les blessures liées à la perte d'êtres chers.
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