Brigitte Findakly et Lewis Trondheim, Coquelicots D’Irak,
L’Association,
Paris,
2016.
Dans Coquelicots
d’Irak, Brigitte Findakly et son époux Lewis Trondheim s’inscrivent dans la
veine des auteurs de BD qui, depuis quelques années, à l’instar de Spiegelman,
Guibert ou autre Delisle, réussissent, en quelques dizaines de planches, à
transporter leurs lecteurs dans une superposition d’histoires individuelles et
collectives hors du commun.
Coquelicots d’Irak,
c’est d’abord l’histoire personnelle de la narratrice, Brigitte Findakly, le
récit de son enfance en Irak, celui de ses promenades avec ses parents sur les
sites archéologiques mésopotamiens, ses relations familiales (avec son frères,
ses parents), son développement personnel et professionnel, la naissance de ses
engagements politiques et civiques et la découverte d’une passion qui deviendra
son métier : coloriste.
Coquelicots d’Irak c’est ensuite une histoire familiale au sens large du
terme : celle d’une maman française qui se marie avec un chirurgien des
armées irakiennes, celle d’un papa qui essaye de subvenir aux besoins d’une
famille tout en tentant de venir en aide à tout Irakien, les difficultés
d’adaptation et de compréhension d’une Européenne au sein d’une famille
attachée à ses traditions. L’histoire d’une famille irakienne qui évolue au gré
des changements politiques de l’Irak.
Car Coquelicots
d’Irak c’est aussi l’Histoire
d’un pays en proie aux luttes politiques, aux assassinats, aux coups d’Etat et
à l’accession au pouvoir de Saddam Hussein et du parti Baas. C’est l’exposé des
conséquences de la mise en place de l’autoritarisme du gouvernement sur des
familles qui perdent leurs repères et qui s’en donnent de nouveaux. Face à
cette situation devenue trop dangereuse pour une famille chrétienne, les
Findakly décident de quitter l’Irak pour vivre en France. Bien qu’en sécurité,
c’est maintenant devant l’imbécillité de la gestion de l’immigration par
l’administration française que s’étonnera Madame Findakly.
On ne peut s’empêcher de penser aux ouvrages de Guy Delisle
sur la Corée du nord ou sur Israël, quand sous la plume de Lewis Trondheim, la
narratrice expose avec une fausse naïveté les épisodes dramatiques de la vie
politique irakienne ainsi que les changements du comportement des hommes de sa
famille restée en Irak. A chacun de ses voyages pour leur rendre visite elle
s’étonne de leur attitude nouvelle: leurs relations avec leurs femmes,
leur attitude devant une tarte aux pommes dans un pays qui manque de tout,
l’obligation d’accrocher dans chaque maison un portrait de Saddam Hussein…
La lourdeur de certains épisodes est allégée par des
« Petits riens » de la vie quotidienne ou issus des traditions
irakiennes : le questionnement de la future mariée qui se demande si elle
doit se raser intégralement ou non le pubis, le fait qu’en Irak ce sont les
hommes qui font les courses…
Lewis Trondheim nous avait toujours habitués à ces
situations cocasses de sa propre vie, toujours habitués à mettre en scène des
animaux « humanisés ». Pour Coquelicots
d’Irak, avec son épouse, ils ont choisi des êtres humains. Quelques
photographies familiales semblent renforcer ce choix. Est-ce là une volonté de
raconter une histoire d’hommes et de femmes forcés de quitter leur pays
avec l’espoir d’y revenir un jour ? Mais « Avec Saddam Hussein qui
deviendra président en 1979, la guerre Iran-Irak de 80 à 90, la guerre du Golfe
en 90, les sanctions économiques qui ont suivi, la seconde guerre du Golfe en
2003 et maintenant Daech », non l’Irak n’ira pas mieux.
Simple et complexe, poétique et dramatique, petits riens et
événements historiques majeurs, tout y est raconté simplement mais avec force
et puissance. C’est de la grande bande dessinée réalisée avec des traits
simples et efficaces. Preuve qu’il n’est pas nécessaire d’en mettre plein les
yeux d’un lecteur pour lui en mettre plein la tête.
Quant aux coquelicots d’Irak, espérons qu’un jour ils
pourront refaire le bonheur de petites filles, déambulant aux pieds d’antiques
monuments et qu’ils ne seront pas piétinés par les bottes de fanatiques
écervelés.
Excellente chronique de cette bande-dessinée que j'achève à l'instant. Le plaisir de la lecture est décuplée par cette analyse fine. Quand en plus, c'est bien écrit : que du bonheur !
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