samedi 16 décembre 2023

Pierre-Roland Saint-Dizier et Michael Crosa, Plein Ciel, Ankara, Roubaix, 2023

 


Pierre-Roland Saint-Dizier et Michael Crosa, Plein Ciel, Ankara, Roubaix, 2023

Plein Ciel, c’est l’histoire d’une tour qui porte ce nom. Une tour comme on en trouve dans toutes les ZUP des banlieues françaises, dans lesquelles des centaines d’individus se partagent la même entrée, la même cage d’escaliers, le même hall d’entrée, le même ascenseur.

Cette BD commence par la défenestration d’un octogénaire. Après avoir nourri ses animaux, il franchit l’encadrement de sa fenêtre et se jette dans le vide. Sa mort laisse ses voisins dans la stupéfaction et dans l’incompréhension. Est-il tombé par accident ? S’est-il suicidé ? Et si c’est le cas, pourquoi n’a-t-on pas trouvé un dernier mot d’adieu à Martine, sa plus poche confidente ?

Tout l’équilibre de l’immeuble est une nouvelle fois bouleversé quand, quelques jours plus tard, deux hommes, visiblement en couple, investissent l’appartement du vieillard. Ils ne sont visiblement pas là par hasard et leur action dans le quartier interroge, d’autant plus que les politiques rodent dans le coin et donnent des interviews dans la presse. On y parle de rénovation, de restructuration, de reconversion.  Tout cela a peu de sens pour ce microcosme qui semble vivre ici depuis toujours et en bonne intelligence.

La bande dessinée est belle, les planches sont bien réalisées, tout en lavis et en couleurs. Les vignettes foisonnent de détails et sont parfois organisées tels les appartements de l’immeuble. On y voit le quotidien de chaque famille, de chaque personne en son « chez-soi », petit cocon devenu presque alcôve, où chacun réalise les gestes de la vie quotidienne. On s’y reconnait forcément, même si on n’y a pas habité.

Reste le scénario qui interroge. La première interrogation concerne l’époque à laquelle se déroule l’histoire. Le lecteur est plongé dans une période où vivre dans ces grands ensembles parait être la panacée. Les relations entre voisins sont cordiales, presque solidaires. Il y fait bon habiter. C’est le sentiment éprouvé, on le sait, dans les années 1950-1960 quand on découvrait l’utopie de Le Corbusier, persuadé d’offrir aux futurs habitants le nec plus ultra de la modernité et des commodités sans limites de tels bâtiments. Or, que vient faire là-dedans cette histoire de rénovation urbaine, bien plus contemporaine celle-là ? Et si l’histoire proposée par le scénariste est actuelle, alors qu’en est-il des problèmes que subissent ces quartiers aujourd’hui : ségrégation socio-spatiale ? Taux de chômage ? Délinquance… ?

La galerie des personnages pose également question. Quand on connait le quartier des Côteaux de Mulhouse qui a fortement inspiré le scénariste, on remarque aisément que les personnages de la bande dessinée ne correspondent pas vraiment à celle qui y vit aujourd’hui. Pourquoi n’avoir pas représentée sa population bigarrée et issue de l’immigration depuis plusieurs générations ? Pourquoi n’avoir pas fait état des préoccupations actuelles et réelles de cette population qui éprouve de réelles difficultés et un sentiment de mise à l’écart des politiques de la ville ?

Un décalage chronologique voulu ou une volonté de cacher la réalité ? Une vision utopiste volontairement décalée ? Ou tout simplement une sorte de conte social et dramatique fait pour interroger ? La bande dessinée n’étant pas à l’origine un médium à but scientifique, tout est possible et permis. Alors pourquoi pas…



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