mercredi 6 février 2019

Amy Goldstein, Janesville. Une histoire américaine, Christian Bourgois éditeur, Paris, 2019.



Amy Goldstein, Janesville. Une histoire américaine,
Christian Bourgois éditeur,
Paris, 2019.

Traduit de l'anglais (Etats-unis) par Aurélie Tronchet.

"C'est fini" titrait en Une en octobre 2015 la Gazette de Janesville. En trois mots, elle résumait la fin de près d'un siècle d'une histoire économique et d'une histoire locale. En trois mots, elle faisait ainsi état de la fermeture définitive de l'usine General Motors de Janesville. En trois mots, elle mettait un point final aux espoirs et au train de vie de milliers de GMeurs. En trois mots, elle venait clore définitivement des années de combat syndical, de solidarité ouvrière, de relations humaines entre travailleurs…

En pourtant non! l'usine ne pouvait pas fermer, c'était impossible. Elle avait déjà connu des difficultés depuis sa naissance aux alentours de la fin de la Première Guerre mondiale. Elle avait même su résister à la Grande Dépression des années 30. Et même le sénateur Obama, candidat à la Maison blanche, l'avait assuré: l'usine se relèverait…

Et pourtant en 2008, l'annonce est bien tombée: l'usine allait définitivement cesser son activité dans deux ans, entrainant avec elle toutes les entreprises sous-traitantes. Dès lors, commence un combat à l'avance perdu de gens qui refusent cet état de fait, mais qui finalement cherchent tous à prendre leurs précautions pour essayer, parfois en vain, de continuer à payer les échéances mensuelles de leur crédit immobilier. quelques-uns y arrivent difficilement au prix d'efforts que peu feraient parmi nous : devenir un "Nomade de Janesville" et quitter sa famille la semaine pour aller travailler à des centaines de kilomètres de chez soi pour un salaire deux fois inférieur à celui qu'on gagnait à l'usine GM; se relancer dans les études pour chercher une reconversion plus ou moins adaptée, continuer à se battre en collectant argent et nourriture pour les redistribuer à plus pauvre que soi.

Ces années de combat sont celles racontées par Amy Goldstein dans  cette enquête historique, sociale et journalistique, que l'auteure a parfaitement menée en immersion dans les communautés de Janesville. Car effectivement, à coté de ceux qui souffrent, il y a ceux qui profitent de la crise, c'est une société fracturée qui voit le jour avec la disparition de l'usine. Et il y a aussi ces politiciens qui mènent leur carrière sur les décombres d'une économie et d'une population à l'agonie...

Au milieu de tout cela, ce sont les jeunes qui en subissent les pires conséquences. Au sein de la première puissance mondiale, des gens meurent de faim, sont obligés de vendre à perte leur maison et au summum de la crise, abandonnent leurs enfants, vite récupérés par des services sociaux asphyxiés. Au lycée, les adolescents dont les parents n'ont plus de quoi vivre tentent de garder la tête haute, mais c'est avec une certaine gène qui se transforme souvent en honte qu'on va piocher quelques denrées alimentaires ou cosmétiques dans la Réserve Parker, sorte de pièce gérée par une assistante sociale désespérée qui rassemblent les produits fournis par ceux qui peuvent encore en faire dons. 

Combien avons-nous été à observer, abasourdis, l'élection de Donald Trump en 2016? Combien avons-nous été à nous demander pourquoi les Américains avaient élu cet homme peroxydé et vulgaire? Combien avons-nous été avec notre vision d'Européens un peu égocentriques à nous demander quelle folie était passée par la tête des électeurs du "Nouveau Continent"? Mais qui parmi nous était réellement conscient de ce qui se tramait depuis des années dans la vie de gens qui avaient tout perdu et qui ne faisaient plus confiance à ceux pour qui ils votaient traditionnellement. Car cette histoire de Janesville n'est qu'"une histoire américaine" parmi tant d'autre. Et la lecture de ce superbe livre ne pourra que nous éclairer sur ce qu'il risque d'arriver quand on subit une mondialisation irraisonnée.

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