dimanche 9 septembre 2018

Joseph Kessel, Les mains du miracle, Gallimard, Paris, 1960.




Joseph Kessel, Les mains du miracle,
Gallimard,
Paris, 1960.

"...il arrivait que je refusais d'accepter certains épisodes du récit. Cela ne pouvait pas être vrai (...). Il sortait simplement avec un demi-sourire, une lettre, un document, un témoignage, une photocopie. Et il fallait bien admettre cela, comme le reste". Ces quelques mots tirés du prologue au roman de Joseph Kessel concerne un homme bien peu connu de l'histoire, au regard des exploits qu'il aurait accompli pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet homme, et ses Mains du miracles dont il est question, c'est Félix Kersten. Une bande dessinée en deux tomes, qui m'était un peu tombée des mains il y a quelques années (le dessin ne me plaisait pas), avait bien peu excité ma curiosité. Je laissai donc cela dans les rayons de mon vendeur favori et oubliai cette histoire, jusqu'à la découverte dans un vieux carton de cette édition ancienne.

Félix Kersten donc, homme au destin bien singulier, puisque issu d'une vieille famille hollandaise, expatriée en Finlande. Engagé dans l'armée de ce pays lors du premier conflit mondial, il veut ensuite devenir chirurgien. Mais, conseillé par un médecin, et présenté au Docteur Ko, mystérieux thérapeute asiatique, il apprend l'art du massage médical, mélange d'ostéopathie et de médecine chinoise, qui lui permet très rapidement d'approcher les plus grandes fortunes du coin. Ces hommes, dont les affaires et le rythme de vie quotidienne sont stressants, souffrent de maux insupportables et incurables par la médecine traditionnelle de l'époque. Kersten est le seul à pouvoir les soulager en leur prodiguant uniquement les massages qui rétablissent un équilibre dans leur corps meurtri et débloquent nœuds et autres tensions. C'est ainsi que le Kersten voit sa fortune se construire à mesure que son ventre grossit.

Mais c'est un jour de 1938 que les choses vont prendre une tournure toute particulière, quand, à la demande d'un industriel puissant, il est amené en Allemagne pour soigner l'homme le plus craint de l'époque: Heinrich Himmler. Celui-ci connait des crises affreuses, il se tord de douleur pendant de longues heures sans pouvoir travailler au destin du grand Reich. Le diagnostique est vite établi:  ses organes digestifs ne supportent pas le stress. La suite relève presque du conte de fée, car bien sûr Kersten réussit à soulager son patient qui s'attache à lui. Dès lors, une relation plus que privilégiée s'installe entre le dirigeant nazi et le médecin, qui décide de profiter de sa position pour sauver un maximum de vies: il persuade Himmler d'épargner des centaines de milliers de personnes, il réussit à retenir des convois de juifs en direction des camps de la mort, il fait signer un pacte entre Himmler et le représentant du Comité juif mondial, il empêche la répression en Hollande, il fait libérer des dizaines de prisonniers des camps de concentration, il recueille dans sa propriété des témoins de Jéhovah et , apogée de l'exploit, il a accès au dossier médical du Führer et persuade Himmler qu'il ne peut faire confiance à un dément qui agit sous l'emprise d'une paralysie syphilitique progressive.

Le livre nous présente un Himmler, fanatique soumis à Hitler, mais qui souffre de cette situation et qui est sur le point de trahir le Führer, guidé dans ce sens par le médecin. On rencontre un Gottlob Berger intrigant, qui déteste les actes antisémites nazis, convaincu que la vraie SS ne doit pas s'adonner aux basses œuvres des tueries à l'est.  Heydrich et Kaltenbrunner quant à eux sont simplement jaloux de la position du médecin, et complotent chacun de leur coté pour se débarrasser de l'intrus...

Tout cela est bien beau et on aimerait y croire. Kessel affirme que tout est vrai. Le prologue cité plus haut explique que Kersten lui a tout prouvé. Les preuves? On ne les connait pas, elle ne sont pas présentées. Mais depuis les années soixante, de l'eau a coulé sous les ponts, la recherche a avancé et il semble que beaucoup des exploits de Kersten mentionnés par Kessel ne sont qu'affabulations, mensonges et extrapolations. Pourquoi Kersten a-t-il raconté autant d'histoires à Kessel? Se justifiait-il d'avoir été proche d'Himmler? Se rachetait-il une conscience? Se protégeait-il? Quoi qu'il en soit, ce livre est un roman et doit être considéré comme tel. Ce n'est pas une source historique fiable. C'est plutôt une belle histoire, bien écrite, qui devrait être lue comme une sorte d'uchronie en se posant l'unique question: "et si Kersten avait eu une emprise sur le chef de la SS,qu'est-ce que ça aurait pu donner ? ". 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire