Riad Sattouf, L'Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984),
Allary Editions,
Paris, 2014.
Ce premier des
trois tomes déjà sortis de L'Arabe du
futur, est une superposition de trois histoires. C'est bien sûr d'abord
celle de Riad Sattouf, devenu aujourd'hui dessinateur et réalisateur de cinéma.
C'est aussi celle des rêves d'un père d'origine syrienne, qui a l'ambition de
faire carrière, et, accessoirement, de faire un coup d'Etat afin de devenir le
dirigeant des peuples arabes, qu'il veut éduquer car il les trouve trop peu
intelligents et facilement manipulables. Plus modestement, il aimerait avant
tout faire fortune pour bâtir la villa de ses rêves dans son pays d'origine et
y vivre avec sa famille. Ce premier tome, c'est enfin l'histoire plus globale
des pays du Moyen-Orient dans une période pendant laquelle ils connaissent de
profonds bouleversements: changements politiques, révolutions et conflits dont
certains sont encore en cours aujourd'hui.
Ce premier
épisode est celui qui raconte la petite enfance de Riad. Tout commence par la
rencontre entre un étudiant syrien un peu lourd et une jeune étudiante bretonne
qui accepte, par compassion pour lui, un premier rendez-vous. De cette union
naîtra Riad, petit métis aux cheveux longs, blonds et bouclés.
La première
expérience professionnelle du père va conduire toute la famille en Libye où
Khadafi vient d'installer son "État des masses populaires". Sous
couvert de la mise en œuvre d'un socialisme utopique dans lequel tout est
partage, le dirigeant conduit sa politique d'une main de fer et le pays connaît
corruption, pénurie et manque de tout. Le partage poussé à l'extrême vire à
l'absurde, quand les maisons ou appartements deviennent la propriété de ceux
qui les habitent en premier. Pas de cadenas ou de serrure, des infiltrations
d'eau, rien n'est vraiment terminé dans ces logements. Les difficultés liées à cette
situation et au régime politique obligent la famille à rentrer en France. C'est
chez la grand-mère bretonne qu'atterrit le trio.
Ici, c'est
le choc des cultures. Le grand-père est un coureur de jupons invétéré; la
vieille voisine n'a plus toute sa tête, le père de Riad, superstitieux, est
terrorisé par les fantômes qu'il imagine qui, selon lui, rôdent autour de la
maison. À l'école, Riad a d'abord du mal à trouver ses marques. Plus débrouillard et habile que les autres,
il passe pour un enfant précoce, mais las de cette position, il fait tout ce
qui est en son pouvoir pour passer pour un abruti et entrer dans les rangs des
élèves français.
La seconde
expérience professionnelle paternelle entraîne tout ce petit monde en Syrie,
pays natal du père, où celui-ci, plein d'espoirs, est persuadé qu'enfin est
venue l'heure de faire fortune en récupérant un héritage foncier qui lui est dû
et à partir duquel il espère réaliser son rêve: construire sa villa. Là encore
les projets se révèlent illusoires quand il se rend compte que son frère a
vendu les terres en question, et qu'il n'en verra jamais les bénéfices. Dès
lors les tensions sont palpables à tous les échelons de la famille. Riad, le
petit blond est considéré par ses cousins comme le juif, la menace, le
concurrent, le traitre qui risque de s'accaparer les faveurs de la grand-mère
paternelle à l'odeur âcre de sueur.
La Syrie est
celle de Hafez Al-Assad: une dictature militaire dans laquelle on élève les
enfants dans le culte de la violence et dans la haine du juif, qu'on assimile à
Israël. On apprend à Riad toutes les pires insultes, avant qu'il en soit
lui-même la victime. Une grave fièvre et la forte inquiétude de la mère face à
cette société violente qu'elle ne souhaite pas pour son fils, poussent au
rapatriement en France. Mais les ambitions du père restent tenaces et le livre
se clôt sur un projet de nouveau départ.
Par un
humour décalé, une fausse naïveté dans les récits, des dessins simples et
efficaces, et un jeu de couleur bien choisi, Riad Sattouf ne produit pas ici
seulement son autobiographie. C'est aussi une vision claire, satirique, parfois
acerbe et cruelle de sociétés différentes, de rêves et de comportements
absurdes. C'est l'histoire de la haine et la violence banalisées, parfois très
crues, encouragées par des gouvernements
autoritaires. Une époque où les tensions dégénèrent rapidement en guerres, où
se fixent certaines conditions du monde actuel.
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