mercredi 23 novembre 2016

Harry Parker, Anatomie d'un soldat, Christian Bourgois éditeur, Paris, 2016.




Harry Parker, Anatomie d'un soldat,
Christian Bourgois éditeur,
Paris, 2016.
Traduit de l'anglais par Christine Laferrière.

"Nous sommes parvenus à une déclivité dans le sol et en un éclair, il n'y a plus rien eu de romantique du tout", La fin de ce livre en est aussi le début: dès le premier chapitre une ceinture, souillée par le sang de BA5799, raconte comment elle lui a servi de garrot. BA5799, c'est le matricule de Tom Barnes, chef d'une troupe de soldats britanniques, qui se retrouve à combattre quelque part dans le monde, fort probablement au Moyen Orient.

Alors qu'il est de retour d'une mission de surveillance nocturne son destin bascule irrémédiablement. Malheureuse seconde, épicentre de tout le livre, lors de laquelle il a posé sa Ranger sur un engin explosif déposé là par des terroristes. Son histoire est racontée par des objets, des microbes, ou par le souffle de l'explosion qui lui a arraché ses deux jambes. Dès lors sa vie va changer radicalement et plus rien ne sera comme avant: les remarques et les regards pleins de compassion des proches et des moins proches, les déplacements qui deviennent impossibles, les gestes du quotidien irréalisables.

Auparavant si sûr de lui, ce soldat n'est désormais plus que l'ombre de lui-même. Mais il refuse de perdre la face. Il s'obstine à nier la douleur, alors que son moignon saigne dans ses prothèses; il refuse qu'on l'aide à pousser sa chaise roulante, alors qu'il est embourbé dans les graviers; il fait mine de ne pas comprendre les avances d'une fille qui lui plaisait pourtant; il cache derrière  une façade joviale et rassurante sa honte de n'être plus qu'un "demi-homme". Qu'est-ce qu'une cérémonie en son honneur et la remise de décorations quand on ne peut plus se déplacer à sa guise? Qu'est-ce que la blessure physique quand on ressent l'humiliation de l'échec et de la faiblesse alors qu'on était une référence aux yeux des soldats qu'on dirigeait?

Tiraillé entre acceptation de ce qui lui est arrivé et l'envie d'hurler à la face des nouvelles recrues de l'armée que ce corps mutilé n'est que le reflet des réalités de la guerre, Tom Barnes reste digne, même si un sentiment d'injustice plane constamment sur les pages de ce livre. Ce soldat si méticuleux, si scrupuleux de respecter le protocole, qui préfère se placer en première ligne pour éviter de mettre en danger ses hommes de troupe, pourquoi est-ce lui qui a eu à subir ces horribles blessures? Injustice subie aussi par Kushan Hhan, ce local qui œuvre pour la paix et qui, au péril de sa vie, souhaite vivre en bonne intelligence avec les troupes étrangères. Lui aussi se retrouve victime malgré lui d'un conflit pour lequel il n'a aucune responsabilité.

Injustice, critique de la guerre, jugement sur la folie humaine... Rien de tout cela n'apparaît pourtant clairement dans le roman. Comment  des objets dénués de toute âme et de tout sentiment pourraient-ils en faire état ? D'ailleurs, ce n'est aucunement l'objet de ce livre.


Ce qui en fait plutôt la force et l'originalité c'est l'art de l'ellipse et du flashback parfaitement maîtrisé par Harry Parker, lui-même soldat engagé dans la British Army et qui connait très bien le monde militaire, l'Irak et l'Afghanistan où il était en mission. Son premier livre est plutôt le récit de la reconstruction d'un homme, mis à nu, quasi disséqué, par les témoignages des objets dont il s'est servi ou de ceux qui l'ont blessé. C'est le récit du triomphe d'un homme sur la souffrance, sur le désespoir, sur la résignation et la honte. Le récit d'une suite d'épreuves qui l'ont rendu plus fort qu'il ne l'était avant le drame au point de se dire que si c'était à refaire, il ne "changerait rien".

Un grand merci à Jeanne Grange et aux éditions Christian Bourgois pour leur soutien
http://www.christianbourgois-editeur.com/

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