mercredi 26 octobre 2016

Catherine Meurisse, La légèreté, Dargaud, Paris, 2016.



Catherine Meurisse, La légèreté,
Dargaud,
Paris, 2016.

Catherine, c'est cette dessinatrice de Charlie Hebdo, qui signait de son prénom les dessins humoristiques du célèbre journal satirique. Mais Catherine n'est plus, désormais un nom de famille vient compléter ce pseudo, car Catherine ne veut plus faire de dessins de presse. Désormais c'est Catherine Meurisse et elle signe son premier album complet.

Née des attentats de janvier 2015, cette jeune auteure de BD raconte sa quête pour tenter de retrouver la légèreté qu'elle a perdue un jour de janvier 2015. Cette légèreté qui a disparu le même jour que ses collègues, ses amis, ses partenaires de grivoiseries sous les balles des kalachnikov de frères dont on taira le nom pour ne pas risquer de ranimer leur souvenir. Car ce dont Catherine Meurisse veut qu'on se souvienne à travers les pages de son livre c'est de ces artistes, ces saltimbanques, ces monstres de l'humour qu'étaient Cabu, Charb, Honoré, Wolinski et Tignous.

Elle voudrait la retrouver sa légèreté, celle qui la faisait déprimer au fond de son lit quand elle repensait aux échanges avec son amant qui refusait de quitter femme et enfants pour elle; elle en arrive presque à envier ces moments qui, hier, la plongeait dans une humeur sombre et qui en comparaison au grand malheur d'aujourd'hui ne valaient finalement pas grand chose. Catherine Meurisse flotte depuis le massacre dans un autre espace/temps. Ses dessins vaporeux à la Rotkho ou autre William Turner sont les reflets d'une âme qui souffre, qui est perdue, qui est en manque de tous ses mentors. Elle veut fuir, non par lâcheté, mais parce qu'elle veut trouver la beauté qui fera sortir son âme du chaos dans lequel les tragiques événements l'ont précipitée. Alors d'abord, elle essaye de se souvenir de ses débuts au sein du journal satirique, son premier contrat, ses premières parties de rigolades dans la salle de rédaction. Puis elle fait revivre les disparus, les faisant faire des blagues scatophiles sur leurs propres bourreaux. Elle tente ensuite de remplir ses journées sous surveillance policière, tente de s'écarter le plus possible des commémorations ou de la presse. Et quand on lui demande de recevoir Barack Obama, c'est plutôt Cabu qu'elle préférerait voir.

La beauté, la trouvera-t-elle auprès de vieux amis? Face à l'océan? En Italie? A Rome où elle espère vivre l'évanouissement rédempteur qu'a connu Stendhal devant la beauté des œuvres d'art antiques ou de la Renaissance? Car c'est bien d'une renaissance dont Catherine Meurisse a besoin, la renaissance d'une âme traumatisée par les bruits assourdissants des rafales de fusils d'assaut, par les hommages de ceux qui ne sont pas vraiment Charlie mais qui le font croire. La renaissance aussi de ses souvenirs qu'elle tente désespérément de retrouver comme les derniers mots qu'elle a échangés en sortant d'un comité de rédaction avec Mustapha, le correcteur "baudelairien" qui a été tué en dernier ce funeste jour.

C'est donc à Rome qu'elle va poursuivre sa recherche. Quel lieu est plus approprié que la Villa Médicis pour rencontrer la beauté des arts? Par ses rencontres avec d'autres artistes, en déambulant avec les guides dans les jardins, en blaguant avec les gardiens et en admirant les œuvres, elle va retrouver un peu de sa capacité à voir le beau, même quand les statues et tableaux lui rappellent les corps meurtris de ses collègues dans la salle de rédaction de Charlie après le passage des frères fanatisés. La véritable révélation se fera ailleurs, elle lui tombera dessus, comme ça, tout simplement, comme une évidence.

On est loin du récit classique d'une survivante qui livrerait un exposé sur lequel on s'apitoierait. Ce n'est pas non plus un étalage de détails macabres pour voyeurs pervers.  On est plutôt ébahi devant le combat d'une frêle jeune femme qui se bat pour ne pas sombrer, pour faire revivre dans ces 130 pages tous ceux qui lui ont donné sa chance et l'envie de ne jamais rien abandonner.   Un véritable hymne à la culture, seule capable de faire sortir les âmes faibles de l'obscurantisme et de guérir les blessures liées à la perte d'êtres chers.



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