William
Blanc, Justine Breton & Jonathan Fruoco, Robin des Bois de Sherwood à Hollywood, Libertalia,
Montreuil, 2024.
Sans égaler en nombre d'apparitions dans différents médias les champions incontestés que sont Sherlock Holmes ou Dracula, Robin Hood est une figure mythique qui a remarquablement traversée les siècles pour être remaniée, ré-imaginée, complètement renversée parfois et énormément récupérée à des fins militantes ou politiques.
Comment
un mythe naît-il au cours de l’époque médiévale, se transforme-t-il lors de l’époque
moderne et se diffuse-t-il jusqu’à l’époque contemporaine en infusant la
culture populaire comme la culture des élites ? Robin Hood est un excellent
sujet d’étude pour élucider ces questions. Jonathan Fruoco, médiéviste, part
d’un constat : il n’existe en France que peu d’études sérieuses ou
d’ouvrages synthétiques sur les légendes de Robin des Bois. Il s’associe à
William Blanc et Justine Breton pour élargir son propos purement médiéviste et
aborder la place du personnage dans la culture populaire. A six mains et en
neuf chapitres, cette joyeuse bande d’auteurs explore les origines historiques
et littéraires du mythe (Jonathan Fruoco), son exportation aux Etats-Unis dans
la culture populaire et son acclimatation en France (William Blanc) et les
dimensions enfantine et féminine du mythe (Justine Breton). Cette belle étude,
complète mais non-exhaustive, s’ouvre sur une magnifique préface de Michel
Pastoureau qui relie la naissance de sa vocation de brillant médiéviste à ses
souvenirs d’enfance des versions hollywoodiennes de Robin Hood et d’Ivanhoe.
Les
balades de Robin des Bois sont des textes anglais écrits entre les 14ème
et 15ème siècles. Robin est un personnage fictif qui semble très
présent dans la culture populaire anglaise dès le Moyen Âge. Sa première
mention écrite le met d’ailleurs immédiatement en compétition avec l’establishement
puisqu’il est dit qu’il est plus populaire que le sacro-saint « Notre
Père » pour la paysannerie anglaise ! Dès ses premières aventures
écrites, les grandes lignes et grands épisodes de sa geste sont réunis.
Les aventures de Robin des Bois sont, dès les prémices de l’imprimerie, l’un
des premiers best-sellers en Angleterre.

Robin
apparaît comme un yeoman, un petit paysan libre propriétaire terrien.
Aux 14ème et 15ème siècles, les archers de l’armée royale
sont recrutés parmi les yeomen. Ce groupe social démographiquement
nombreux devient très revendicatif et se rebelle au cours de cette période.
Dans les balades originelles, les aventures de Robin ne sont pas
contextualisées historiquement. Il n’est pas dit qu’il vit sous le règne de
Jean-Sans-Terre. Des chroniques un peu plus tardives cherchent à le rendre
historique et à l’ancrer dans des événements insurrectionnels attestés par des
sources judiciaires. Robin, le yeoman en révolte contre le roi et
l’Eglise, appelle ses hommes à tabasser et détrousser les membres du clergé.
Dans les couches populaires, ces récits circulent et sont adoptés par des yeomen
bien réels et quelque peu revendicatifs.
En
revanche, au cours du 16ème siècle, ce très populaire héros est
élevé au rang de noble dans le théâtre élisabéthain. La noblesse anglaise
s’approprie le mythe du personnage en le transformant en comte tombé en
déchéance. Cette version de la légende s’inscrit définitivement dans les
mémoires et cristallise cette origin story. Avec le fait de se cacher en
forêt et celui de dépouiller les riches, cette disgrâce du petit noble fait
partie intégrante de l’ADN du mythe alors qu’il s’agit d’une réécriture
élisabéthaine. Cette réinvention permet aussi de redéfinir la mission de Robin
pour biffer sa mission sociale et en faire un légitimiste qui veut remettre sur
le trône le souverain légitime en même temps qu’il retrouve son rang. Cela
confère aussi au personnage en révolte contre l’évêque local ou le shérif de
Nottingham un caractère national qu’il n’avait pas jusque-là.
L’aspect
du héros change lorsque ses origines sont réécrites. Le héros à capuche, Robin
Hood, devient un héros des bois au cours du 20ème siècle et à cause
d’erreurs des traducteurs français hésitants trop entre hood et wood…
Le fameux chapeau mou à plume n’apparaît qu’au 19ème siècle et est
popularisé par le cinéma. Le hoodie revient dans les comics de Green Arrow
(années 1980 et 1990). La verdure du costume attestée dès Chaucer est moins une
affaire de camouflage qu’un indice économique : le vert coûte moins
cher !
La
figure populaire de Robin Hood ne quitte jamais la culture britannique puisque
les membres du Gunpowder plot de 1605 sont désignés comme des Robin
Hood par le juge qui instruit l’affaire. De même, un capitaine de navire attaqué
par des pirates relate, au 18ème siècle, que ses assaillants se
réclament comme des Robin Hood lorsqu’ils arraisonnent son vaisseau. Bien avant
le cinéma ou la bande-dessinée, le mythe du prince des voleurs est bien présent
dans la mémoire et la culture populaire.
Lorsque
Joseph Ritson, folkloriste de la fin du 18ème siècle, collecte diverses
versions des balades de Robin Hood, alors même que grogne la Révolution
Française, le mythe est déjà associé de longue date à certaines formes de contestations
populaires. Les Robin Hood Societies de la petite bourgeoisie progressiste
moquée par la presse conservatrice se sont appropriées la figure de Robin. Au
19ème siècle, les Chartists se revendiquent de Robin Hood.
Avant d’être récupéré par les mouvements nationalistes, le romantique Keats a
le temps de chanter Robin Hood, ce mythe révolu pré-industriel mais ô combien
nécessaire dans ce fiévreux 19ème siècle…
La
traversée de l’Atlantique à destination des Etats-Unis se traduit par d’autres
transformations à la fin du 19ème siècle. Robin Hood devient le mètre-étalon
pour jauger les figures de hors-la-loi telles que Jesse James. Ce faisant, le
mythe se ramollit pour s’adapter aux comparaisons de tous les bords, parfois poussives,
et trahissant souvent le mythe originel du yeoman en révolte. La
récupération et le remodelage du mythe est quasi constant depuis la fin des
années 1860 et aujourd’hui. Bernie Sanders et Ted Cruz débattent dans les
années 2010 sur les réformes fiscales à mettre en œuvre aux Etats-Unis.
Sanders, progressiste et socialist, évoque l’image d’un Robin Hood pour
se voir répondre par le très conservateur et républicain Cruz que les vrais
Robin Hood sont dans le camp conservateur des « anti-systèmes »
libertariens !


Le
renversement du mythe est aussi remarquable que représentatif des temps ! Face
aux masses oisives profitant des aides sociales, les « Robin des Bois à l’envers »
s’en viennent joyeusement tabasser et voler les pauvres pour donner aux riches !
Le livre montre assez bien comment les changements de la société et les
transitions Outre-Manche ou Outre-Atlantique permettent cette incroyable
récupération du personnage… Après la crise des subprimes, les auteurs notent
une hausse de l’utilisation des caricatures de Robin Hood dans le monde
anglo-saxon. Lorsque le modèle du welfare state est ébranlé, Robin sort
du bois !

Et
la culture populaire alors ? Elle alimente ces circonvolutions de la
figure mythique récupérée en politique. William Blanc explore de manière synthétique
ces aspects. Peu d’aspects sont laissés de côté par les auteurs de l’ouvrage :
le militantisme de la figure, les adaptations à la littérature enfantine, les
rapports de Robin et Marianne… La dernière partie de l’ouvrage n’est pas
inintéressante en ce qu’elle analyse par le menu les thématiques très récurrentes
du déguisement et du travestissement dans les divers récits de Robin des Bois.
L’ouvrage
est touffu et fort intéressant. Peu de mythes littéraires ont connu un succès
et une récupération comparables à ceux de Robin Hood qui n’a sans doute pas
tiré ses dernières flèches au moment où ces lignes sont écrites !